Dinara

par Elbrus Ven 23 Oct 2020 - 18:24

Le 14 octobre 2020, tu m'as quittée sans aucune explication, et bien que ça fasse déjà une semaine et demie et que je m'y fasse peu à peu, j'ai toujours la sensation qu'on m'a arraché un bout du coeur et que je l'ai juste rabiboché avec quelques fils. Maintenant, c'est juste Aliya et moi. Je ne sais pas si je lui reprendrai une copine: elle ne te cherche pas, ne déprime pas, et est toujours la même. Je crois que ça lui plaît peut-être d'être la seule à gérer la bouffe, les jouets, et le territoire. En tout cas pour le moment, ça va.

Ce matin-là je faisais tranquillement mes petites choses habituelles. Tu as voulu venir sur moi, Aliya dormait, elle n'a rien vu. Je trouvais que tu manquais un peu d'appétit et que tu étais peut-être un peu fatiguée, mais je me suis dit "bah, c'est le matin, et puis elle est à peine levée". Je t'ai fait un petit nid avec un étui à lunettes ouvert, un mouchoir (qui t'a suivie au crématorium) et quelques petites choses que tu aimais, une graine de tournesol, un bout de biscuit, que tu n'as pas touché. Tu as voulu venir sur moi, comme toujours. A chaque fois que je t'ai aménagé un petit coin sur ma table, tu y restais peut-être 5 minutes, tu te baladais sur le clavier et puis tu revenais sur mon épaule. On écoutait Dos-Mukasan et la chanson qui passait, je ne peux plus l'écouter. J'ai pris une photo de toi sur mon épaule sans savoir que ça serait la dernière, et j'ai parlé de toi dans le serveur russe où j'aime passer mon temps, quand pour je ne sais quelle raison je t'ai reposée sur la table, et j'ai entendu que tu "craquais" et que tu avais du mal à respirer. Le temps que je percute, que je te prenne dans ma main et que je cherche frénétiquement la cage de transport pour t'emmener illico chez le vétérinaire (quitte à courir), je t'ai sentie convulser et tu es partie, là, dans mes mains, et j'ai pleuré, j'ai hurlé, au point d'en avoir eu mal à la gorge le jour d'après.

Quand j'ai annoncé ta mort à mes amis du serveur je pouvais à peine taper tellement je tremblais, ton petit corps sans vie à côté de moi, qui refroidissait. Puis je t'ai mise dans ce mouchoir qui aurait dû être si confortable pour toi, je t'ai enveloppée et mise au congélateur. J'ai nettoyé la cage les larmes aux yeux, avec une sensation de fièvre (qui n'était pas une vraie fièvre), et ma mère est rentrée. Je lui ai dit que je savais qu'on avait un crématorium pour animaux dans le département, j'ai appelé, pris rendez-vous, puis je suis retournée me terrer dans ma douleur, j'ai continué le dessin que j'avais commencé. Je ne mangeais que parce que mon corps en avait besoin, mais le coeur n'y était pas, j'avais juste envie de mourir, moi aussi, de me terrer au fond de mon lit et d'y laisser ma faim.

Au crématorium deux jours plus tard, ils ont été très chaleureux, et j'ai pu me recueillir 15-20 minutes sur ton petit corps dans ce cercueil de carton qui paraissait énorme pour une petite souris comme toi, qui étais déjà plus petite que les autres. J'avais mis une graine de tournesol avec toi, parce que je ne pouvais pas mettre un bout de poulet (toi qui aimais tant la viande mais refusais les fruits!), et je l'ai placée entre tes petites mains pâles. J'ai fermé tes yeux, j'ai écrit un petit mot, je disais qu'on irait ensemble dans ces steppes qui m'appellent depuis des mois... J'ai caressé ton petit corps froid, si doux, et encore aujourd'hui ça me tue de ne pas pouvoir embrasser ta petite fourrure quand tu venais sur ma main, sentir ton petit museau et ta petite langue me lécher les lèvres quand j'avais mangé un truc sucré, et puis après, la dame t'a emmenée en crémation. Je n'ai pas voulu te voir te faire enfourner, c'est déjà abominable quand c'est un être humain. Et puis on a ramené tes petites cendres, si petites que l'urne que j'ai achetée est en fait un reliquaire. J'ai reçu le pendentif cinéraire il y a quelques jours. Une partie de toi est en moi, et m'accompagne quand je joue de mon instrument, et m'accompagnera au Kazakhstan, une fois que cette foutue pandémie sera finie ou au moins contrôlée.

Dinara. Je ne sais pas pourquoi c'est ce prénom-là que je t'ai donné. C'est un prénom arabe qu'on trouve beaucoup chez les peuples turcs de l'ex-URSS, qui fait référence à une pièce de monnaie (dinar). Si Aliya avait une inspiration pour son nom (Aliya Moldagulova, une tireuse d'élite de la Seconde Guerre Mondiale), toi tu n'en avais pas. Tout ce que je sais c'est que je t'ai tout de suite appelée comme ça et que ça t'allait bien. C'est sûr, c'est aussi le nom d'une montagne en Croatie, mais je ne l'ai appris qu'après.

Tu étais toujours là où on ne t'attendait pas. Une drôle de petite personne, comme dit ma mère. A l'animalerie tu grimpais aux barreaux de la cage alors que tout le monde dormait, et tu étais la seule souris noire, toutes les autres (dont Aliya que j'ai prise plus tard par peur que tu finisses par déprimer seule) étaient blanches tachetées de brun/noir. Tu as parfaitement supporté les 2,5 kilomètres à pied jusqu'à la maison, dans la boîte, avec le bruit de la rue autour, et tu es venue dans ma main le lendemain de ton arrivée. Je t'ai donné des fruits à plusieurs reprises mais tu n'y touchais pas, en revanche dès que je te donnais un petit morceau de poulet, c'était la fête. Les graines de tournesol aussi, d'ailleurs tu en as tellement mangé une fois que j'ai dû t'amener chez le vétérinaire parce que tu avais une petite inflammation du foie (c'était un peu de ma faute, je vous en avais donné trop), et c'est d'ailleurs depuis cet épisode que tu voulais toujours être avec moi. Aliya était dure avec toi, peut-être qu'en fait ça aurait été mieux qu'on ne reste que toutes les deux, mais on devait être un trio. Tu l'avais très bien accueillie, toi qui n'aurais jamais pensé à être agressive ou tenter de dominer qui que ce soit. Tu étais trop innocente pour ce monde. Je t'envie. Moi, je suis rongée par le mal, comme tous les êtres humains. Vous les souris vous connaissez les lois de la nature, mais vous ne connaissez pas la crasse qui est le propre de l'homme.

5 mois ensemble et pourtant, qu'est-ce qu'on en a vécu des choses. Tu t'es éteinte à l'âge de six mois, c'est comme si tu avais la trentaine. Mais jusqu'au bout on a été ensemble. On ne s'est jamais quittées, et tu t'es peut être sentie partir, et tu as voulu venir sur moi pour t'y éteindre. Je crois que c'est un des amours les plus vrais que j'ai pu ressentir. Et pourtant c'était pour une petite souris, sans dimension sexuelle, matérielle, c'était l'amour inconditionnel, tout simplement. Tu étais l'avorton de la portée, au vu de ta taille et de ta fragilité, mais je remarque quelque chose: on dirait que vous, les plus faibles, les plus petits, vous êtes aussi les plus sociables et de véritables rayons de lumière. C'est comme si vous naissiez pour apporter de l'amour, beaucoup d'amour, dans la vie de ceux à qui vous êtes liés par l'âme, même si votre vie doit être courte, plus courte encore que vos semblables. Chez les humains aussi ça arrive. Je ne suis pas étonnée. On est tous dans le même bateau.

Ton urne est sur ma table, près du mur, il y a un quartz rose posé dessus et une photo de toi encadrée. On les verra ensemble ces steppes, Dinara. Et si je rencontre quelqu'un qui porte ton nom (ce qui est assez probable), je lui raconterai ton histoire, même si ça doit me valoir un regard perplexe. Tu étais une souris, mais tu étais ma plus petite âme soeur.

Je t'aime.

par Groûte Sam 24 Oct 2020 - 14:07

J'ai pleuré tout le long de ma lecture. C'est ce que je vivrai quand M.Groot me quittera (il a 2 ans et 2 mois). C'est étonnant combien ces petites boules de poils peuvent êtres attachantes.

. De tout coeur avec toi.

par Elbrus Sam 24 Oct 2020 - 17:33

Groûte a écrit:J'ai pleuré tout le long de ma lecture. C'est ce que je vivrai quand M.Groot me quittera (il a 2 ans et 2 mois). C'est étonnant combien ces petites boules de poils peuvent êtres attachantes. . De tout coeur avec toi.

C'est beaucoup moins dur quand ils sont vieux, surtout s'ils sont malades. Avant de perdre Dinara j'ai perdu son prédécesseur Souris (environ 2 ans), et il était malade de la gratte, il ne tenait plus debout, à l'époque je ne savais pas qu'il y avait des vétos NAC près de chez moi donc il a été chez un véto qui ne savait pas trop faire les souris, et ça a été dur, mais ça a été un soulagement de voir qu'enfin, il allait pouvoir se reposer.

Merci.

Ce sont de petites âmes malgré leur taille...

par Groûte Sam 24 Oct 2020 - 18:22

Je suis assez d'accord avec toi. Même si c'est au départ une souris sauvage, il ne sait pas se débrouiller seule car je l'ai trouvé bb. Son instinct n'est pas développé. Il s'est échappé quelques fois et ce qui me brisait encore plus le coeur (lorsque je ne le retrouvais pas après quelques heures)... c'était de savoir qu'il pourrait mourir de froid ou de faim par manque de débrouillardise. Cela n'arrive pas avec mes nouvelles. Elles reviennent là où il y'a nourriture et chaleur... donc pas très loin des cages après quelques heures. Du coup elles sont bien plus faciles a attraper car je sais où placer les pièges.

par **epidote22** Dim 25 Oct 2020 - 16:26

Joli hommage !
Bon vent à la petite Dinara et courage à toi Groûte !

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